Genres poétiques : Chleuh

AMARG ou poésie d’auteur

 

Amarg est un terme polysémique ; il signifie, certes, «poésie» et «chant», mais aussi «amour», «nostalgie», «affection», etc. Selon S. Chaker, Amarg est très probablement un nom verbal dérivé d’une proto-racine *RY (*R+palatale) dont est issue iri, «aimer, vouloir désirer».

La dénomination «poésie d’auteur», retenue ici, ne recouvre pas véritablement un concept de la tradition littéraire locale. En fait, cette appellation traduit la conviction des amateurs actuels de poésie qu’un répertoire donné représente la production exclusive de tel ou tel poète-chanteur. C’est pourquoi on entendra souvent amarg n Sidi Ḥmmu pour désigner les poèmes composés par/attribués à ce poète. En d’autres termes, on appelle poésie d’auteur les poèmes reconnus, au plan de la composition ou du chant ou des deux, à un auteur dont le nom est connu. Les moyens d’enregistrement et de publication modernes ont amplifié cette tendance, renforcée, bien sûr, par les textes juridiques reconnaissant les droits des auteurs sur leur production ainsi que la préservation de la propriété artistique.

D’autres auteurs retiennent un usage différent du terme amarg :

« […] le mot amarg est le concept désignant la poésie dans le Sous, évoquant un processus de création et un corpus de production poétique. » (O. Amarir, 1975, p. 93.)

Cette définition est plus large que la précédente et inclut la poésie anonyme, voire la poésie rituelle. En fait, la poésie villageoise est dénommée aḥwac ou asallaw, etc. Mais on peut la désigner par amarg au sens générique du terme (= «poésie, chant»). En revanche, la poésie des ṛṛways ne peut être désignée autrement que par amarg. Il suffit de rappeler le vers célèbre:

Lɛilm i Fas, aman i Tasawt, amarg i Sus

« La science est dans Fès, l'eau dans la Tassaout, le chant dans le Sous »

On réservera donc ce terme amarg à la poésie d’auteur, celle des ṛṛways.

 

A. Bounfour

 

Illustrations

 

 

Orientation bibliographique

  • A. Bounfour : Le nœud de la langue, Aix-en-Provence, Edisud, 1994.
  • A. Bounfour : Introduction à la littérature berbère. I. La poésie, Paris/Louvain, Peeters, 1999.
  • P. Galand-Pernet : Recueils de poèmes chleuhs I. Chants de trouveurs, Paris, Editions Klincksieck, 1972.
  • P. Galand-Pernet : Littératures berbères. Des voix, des lettres, Paris, PUF, 1998.
  • A. Roux A./A. Bounfour A. (éd.), Poésie populaire berbère (Maroc du Sud-Ouest/Igedmiwen), Paris, Editions du CNRS, 1990.

Aqsiḍ

 

Aqsiḍ est un mot emprunté à l’arabe, langue dans laquelle il signifie, entre autres, «composition rythmée». En chleuh, il désigne un type de poème qui est chanté avec un rythme très lent ; il est accompagné de musique d’aḥwac. Il est réputé très difficile à composer et à chanter et, de ce fait, réservé aux grands poètes-chanteurs qui, lors d’une fête, s’y adonnent toute la nuit jusqu’à l’aube.

Le premier poète-chanteur choisit un thème et lance le chant; il est relayé par un autre dès que le premier le demande, soit par un vers soit par un geste quelconque. Le plus expert est celui qui a le plus grand souffle dans la composition (= celui qui aligne le plus grand nombre de vers) et dans la déclamation ou le chant (= puissance et qualité de la voix).

Le poète est un compositeur certes, mais il se trouve que, souvent, il mémorise les compositions des plus grands et les récitent dans les fêtes. C’est pourquoi l’on parlera plus de répertoire de tel ou tel poète-chanteur que d’œuvre de création. Car cette poésie est la plupart du temps anonyme.

 

A. Bounfour

 

Illustrations :

 

 

Orientation bibliographique

  • A. Bounfour : Le nœud de la langue, Aix-en-Provence, Edisud, 1994.
  • A. Bounfour : Introduction à la littérature berbère. I. La poésie, Paris/Louvain, Peeters, 1999.
  • P. Galand-Pernet : Recueils de poèmes chleuhs I. Chants de trouveurs, Paris, Editions Klincksieck, 1972.
  • P. Galand-Pernet : Littératures berbères. Des voix, des lettres, Paris, PUF, 1998.
  • A. Roux A./A. Bounfour A., Poésie populaire berbère (Maroc du Sud-Ouest/Igedmiwen), Paris, Editions du CNRS, 1990.

LQIṢT ou poésie narrative

 

Le terme lqiṣt ou lqiṣṭ est un emprunt à l’arabe (qiṣṣa) et signifie « histoire, récit, conte, légende », etc. « […] Il peut s’appliquer, aussi bien à la fable […], à des « légendes » hagiographiques mettant en scène Job, Moïse ou des saints régionaux ou bien à des récits narrant une aventure, ancienne ou récente, merveilleuse ou non, présentée comme fictive ou comme réelle. » (Galand-Pernet, p. 60-61). Le terme a donc, dans la culture traditionnelle chleuh, un sens générique désignant tout récit de quelque nature que ce soit.

On appelle poésie narrative les textes versifiés qui racontent une histoire. Cette dernière peut être de types très divers sur le plan thématique et fonctionnel. On peut rencontrer des poèmes « historiques », religieux, merveilleux et moraux.

  • Les textes seront dits historiques parce que les personnages dont il est question sont attestés historiquement, mais leur présentation dans ces poèmes relève d’une composition mythico-merveilleuse.
  • Les textes religieux seront ceux qui sont en intertextualité avec le Coran ou la tradition théologique musulmane.
  • Les poèmes merveilleux ne se distinguent du conte merveilleux que par la versification et l’écart linguistique que celle-ci impose au style du récit ; les poèmes moraux sont en intersection avec la tradition religieuse, l’histoire et le conte merveilleux.

 

A. Bounfour

Illustrations

 

 

Orientation bibliographique

  • A. Bounfour : Le nœud de la langue, Aix-en-Provence, Edisud, 1994.
  • A. Bounfour : Introduction à la littérature berbère. I. La poésie, Paris/Louvain, Peeters, 1999.
  • P. Galand-Pernet : Recueils de poèmes chleuhs I. Chants de trouveurs, Paris, Editions Klincksieck, 1972.–P. Galand-Pernet : Littératures berbères. Des voix, des lettres, Paris, PUF, 1998.
  • A. Roux A./A. Bounfour A. (éd.), Poésie populaire berbère (Maroc du Sud-Ouest/Igedmiwen), Paris, Editions du CNRS, 1990

TIḤWACIN / TIYTT (distiques de femmes / d’hommes)

 

Le terme tiḥwacin est le pluriel de taḥwact et le féminin de aḥwac. Ce dernier désigne une cérémonie-spectacle où sont associés musique, chant, poésie, chorégraphie et danse exécutés par des hommes, des femmes et, parfois, des enfants des deux sexes (voir Lortat-Jacob 1980). Le poème chanté est long et souvent dit par les hommes, mais sans que les femmes en soient exclues, particulièrement quand il s’agit de joutes.

On peut alors voir en taḥwact le diminutif d’aḥwac d’autant plus qu’elle est exécutée par les femmes uniquement : elle consiste à chanter indéfiniment le même distique accompagné de musique tambourinée par la dame qui dirige un chœur de femmes et de jeunes filles. Parfois, ce sont les hommes qui font la musique mais ne participent pas au chant. Néanmoins, le terme Taḥwact dénomme uniquement le distique et non l’ensemble de l’exécution. Autrement dit, taḥwact est le poème le plus court qu’on puisse rencontrer dans le système littéraire chleuh, du moins dans le Haut-Atlas, particulièrement chez les Igliwa.


Quand on demande à une femme de dire une taḥwact (au sens de distique), on s’adresse à elle ainsi : gr kra n teḥwact (litt. : « lance/jette quelque petit poème (distique) » pour dire: « récite/dis/chante une taḥwact »).

Justinard a relevé les traits suivants pour ce qu’il traduit par « doublet »:

  • Une nouvelle dénomination, tiytt, « un ou deux vers » modulé par le chef d’orchestre, appelé asiyas chez les Goundafa, puis répété par les danseurs.
  • La répétition du doublet se fait indéfiniment.
  • Chez les Ayt Baaqil (Sous), les femmes ne participent pas à ce genre alors que c’est le contraire chez les Goundafa (Haut-Atlas).

On notera que la seule différence entre taḥwact de la montagne et tiytt de la plaine concerne le sexe des exécutants et non la forme du texte poétique et son exécution.


Enfin, il faut signaler que ces distiques apparaissent souvent dans des poèmes plus longs. Ils acquièrent cette autonomie, qui permet de les citer hors de leur contexte, parce qu’ils ont une charge sémantique importante et une densité syntactico-rythmique remarquable aux yeux de la société qui les apprécie.

 

A. Bounfour

 

Illustration :

 

 

Orientation bibliographique

  • A. Bounfour : Introduction à la littérature berbère. I. La poésie, Paris/Louvain, Peeters, 1999.
  • P. Galand-Pernet : Recueils de poèmes chleuhs I. Chants de trouveurs, Paris, Editions Klincksieck, 1972.
  • P. Galand-Pernet : Littératures berbères. Des voix, des lettres, Paris, PUF, 1998.
  • B. Lortat-Jacob, Musique et fêtes au Haut-Atlas, Paris, Mouton-Ehess, 1980.
  • A. Roux A./A. Bounfour A (éd.)., Poésie populaire berbère (Maroc du Sud-Ouest/Igedmiwen), Paris, Editions du CNRS, 1990.