Genres poétiques : Tamazight

Ahllel

« Chant religieux, litanie, poème de prédication… »

 

Comme la plupart des termes autochtones dénommant les genres poétiques, ahllel est polysémique. On ne retient ici que ce qui intéresse la poésie.

Laoust (1939) donne ce nom à des compositions de moissonneurs, de pèlerins et de confréries. Qu’ont de commun ces compositions pour mériter la même dénomination? Pour M. Taïfi [1], l’ahllel est un «chant religieux», une «litanie».

Le contenu des poèmes n’est pas homogène, même si on peut le réduire à la sphère religieuse, morale, magique, etc. Ces compositions proviennent de divers milieux et groupes sociaux ; ce qui les unifie, c’est le mode d’exécution.
Ainsi, ce que dit/psalmodie le muezzin tôt le matin avant d’appeler à la prière porte le même nom. Là encore, ce n’est pas le contenu qui est déterminant, mais le mode de dire. Ce mode est, bien sûr, celui de la litanie. L’ahllel ne se définit donc ni par son contenu, ni par sa forme poétique, mais par sa diction. Ce qui ne veut pas dire que n’importe quel contenu peut être dit comme ahllel.

Car la litanie est toujours associée à un cadre rituel plus ou moins contraignant. C’est bien le cas des diverses situations d’exécution : la moisson, le pèlerinage et le confrérisme sont des rituels différenciés, certes, mais la litanie leur est commune.

Toutefois, on peut aussi rencontrer des compositions reconnues comme ahllel où tous ces traits sont absents. Ni le cadre rituel, ni la litanie ne sont donc requis ; de plus, le poème peut être long et construit comme un dialogue.

Ce flottement n’est pas pour surprendre dans une tradition fragmentée, dialectalisée, parfois, à outrance. Dans le cas évoqué, la dénomination vise un aspect de la forme du contenu, c’est-à-dire la prédication ou la moralisation des comportements humains. Ce qui est d’ailleurs conforme au contenu global des compositions litaniques.

 

A.Bounfour

[1] Dictionnaire tamazight-français, Paris, 1991.

 

Illustrations :

 

 

Orientation bibliographique

  • A. Bounfour : Le nœud de la langue, Aix-en-Provence, Edisud, 1994.
  • A. Bounfour : Introduction à la littérature berbère. I. La poésie, Paris/Louvain, Peeters, 1999.
  • J. Drouin : Un cycle oral hagiographique dans le Moyen-Atlas marocain, Paris, Publications de la Sorbonne, 1975.
  • P. Galand-Pernet : Littératures berbères. Des voix, des lettres, Paris, PUF, 1998.
  • E. Laoust : Cours de berbère marocain (dialectes du Maroc central), 1939.

Izlan (sing. izli)

 

Le terme izli est polysémique ; néanmoins, on peut en cerner trois significations principales:

  • D’un point de vue textuel, il désigne un couplet chanté semblable à la taḥwact chleuh sur le plan formel. C’est un énoncé poétique de deux vers constituant à eux deux une unité syntactico-sémantique.
  • D’un point de vue générique, il désigne l’ensemble de ces couplets ou même, parfois au-delà, sans qu’il y ait une distinction thématique ou formelle nette avec certains autres genres comme tamawayt, par exemple. A ce sujet, on constate que la classification générique est tellement délicate à établir que A. Roux, très grand connaisseur de cette tradition poétique, a mêlé des izlan avec des timawayin dans le corpus publié par M. Peyron (2002).
  • Un troisième sens est signalé par Jean Robichez. En effet, ce genre de couplet est appelé, parfois, aferdi et : « […] désigne […] des unités d’une paire. Le mot désignera aussi l’être ou la chose isolée, dépareillés de quelque façon : le borgne, l’enfant unique, l’homme seul. ». Dans son dictionnaire, Taïfi [1] signale la même signification. Il en ressort que le terme izli serait la dénomination d’une unité de composition d’un couplet ou d’un poème plus ample quelle que soit sa taille ou sa dénomination générique. Autrement dit, izli serait l’équivalent de vers ou d’hémistiche et izlan l’équivalent de poème en tant qu’ensemble de vers ou d’hémistiches.

Les textes fournis en illustration répondent au sens (b) ci-dessus. On a choisi les couplets qui ne font aucun doute quant à leur appartenance au genre izlan.

A. Bounfour

 

[1] Dictionnaire tamazight-français, Paris, 1991

 

Illustrations

 

 

Orientation bibliographique

  • A. Bounfour : Le nœud de la langue, Aix-en-Provence, Edisud, 1994.
  • A. Bounfour : Introduction à la littérature berbère. I. La poésie, Paris/Louvain, Peeters, 1999.
  • S. Chaker: « Amdyaz », Encyclopédie berbère, vol. IV, 1987.
  • J. Drouin : Un cycle oral hagiographique dans le Moyen-Atlas marocain, Paris, Publications de la Sorbonne, 1975.
  • Encyclopédie berbère, XXV, 2003 (« Izli », par M. Peyron, S. Chaker, T. Oudjedi).
  • P. Galand-Pernet : Littératures berbères. Des voix, des lettres, Paris, PUF, 1998.
  • A. Roux / M. Peyron : Poésies berbères de l’époque héroïque. Maroc Central (1908-1932), Aix-en-Provence, Edisud, 2002.
  • A. Roux : « Les ‘imdyazen’ ou aèdes berbère du groupe linguistique beraber », Hesperis, 1928/II.
  • J. Robichez : Paroles berbères (Poèmes du Maroc Central), manuscrit inédit

TAMAWAYT / LMAYt

 

Les deux termes sont généralement donnés comme équivalents par les spécialistes. J. Drouin (1975) attribue à ce genre les traits suivants:

  • La forme du vers : il est composé de deux hémistiches;
  • La performance : le premier hémistiche est « une suite de sons modulés, ascendants dont le dernier, à la fin du premier hémistiche, est tenu ; le deuxième hémistiche est chanté très rapidement de façons monocorde. ».

C’est probablement ce trait qui distingue vraiment ce genre. Ailleurs, le terme lmayt signifie vraiment le mode, au sens musical du terme, sur lequel doit se dire le texte poétique.

Sur le plan des thèmes, le genre ne connaît pas de contraintes spécifiques.

La racine retenue par Taïfi [1] est mwy et il définit tamawayt comme un «chant isolé, couplet chanté par un homme isolé; chant de moissonneur.». En fait, le terme tamawayt est à l’évidence un nom verbal sur le schème aMaCaC (nom d’agent) issu du verbe awy, «emmener, emporter», très généralement employé en berbère pour : «dire un poème, chant». Sous la racine my, Taïfi note : « lmayt = chant isolé, couplet chanté par l’un des cavaliers avant le départ lors d’une fantasia.

A. Bounfour

 

[1] Dictionnaire tamazight-français, Paris, 1991

 

Illustrations :

 

 

Orientation bibliographique

  • A. Bounfour : Le nœud de la langue, Aix-en-Provence, Edisud, 1994.
  • A. Bounfour : Introduction à la littérature berbère. I. La poésie, Paris/Louvain, Peeters, 1999.
  • J. Drouin : Un cycle oral hagiographique dans le Moyen-Atlas marocain, Paris, Publications de la Sorbonne, 1975.
  • P. Galand-Pernet : Littératures berbères. Des voix, des lettres, Paris, PUF, 1998.
  • A. Roux / M. Peyron : Poésies berbères de l’époque héroïque. Maroc Central (1908-1932), Aix-en-Provence, Edisud, 2002.
  • A. Roux : « Les ‘imdyazen’ ou aèdes berbère du groupe linguistique beraber », Hesperis, 1928/II.

TAMEDYAZT

 

Timdyazin (sing. tamdyazt) sont généralement de longs poèmes, sans spécialisation thématique particulière. La racine DYZ est commune à plusieurs dialectes berbères ; en dérive un verbe qui signifie « danser » à Ghadamès et un nom qui signifie « biniou » dans le Rif.

Dans le domaine tamazight, cette production est le fait de poètes professionnels, les imdyazn (sing. amdyaz ; Cf. Chaker 1987) comparables aux ṛṛways chleuhs et, par conséquent, les timdyazin sont comparables à l’amarg. Le terme timdyazin est l’équivalent de tiqsiḍin (sing. taqsiḍt).

L’amdyaz compose ses poèmes au gré de l’actualité du pays, du monde. Il se fait alors informateur de sa communauté, moraliste, commentateur politique, critique de la société jusqu’à la satire la plus acerbe. J. Drouin (1975) attribue les caractéristiques suivantes à ce genre:

  • Un trait sémantique : tout vers a un sens complet. Ce trait est commun à tous les genres : l’unité syntactico-sémantique du vers est ce qui permet son autonomisation et sa capacité à devenir, parfois, proverbe.
  • Un trait formel : chaque vers est composé « de deux hémistiches assonancés et non rimés. ». Certes, la poésie tamazight, en général, peut user de l’assonance, mais elle ne connaît pas la rime sauf par accident. De ce point de vue, elle est comparable à la poésie chleuh.
  • Un trait de performance : le premier hémistiche est chanté par le poète ou par le meneur du groupe et le second par un chœur. C’est probablement le trait le plus spécifique à la tamdyazt.

 

A. Bounfour

 

Illustrations :

 

 

Orientation bibliographique

  • A. Bounfour : Le nœud de la langue, Aix-en-Provence, Edisud, 1994.
  • A. Bounfour : Introduction à la littérature berbère. I. La poésie, Paris/Louvain, Peeters, 1999.
  • S. Chaker: « Amdyaz », Encyclopédie berbère, vol. IV, 1987, p. 576-577.
  • J. Drouin : Un cycle oral hagiographique dans le Moyen-Atlas marocain, Paris, Publications de la Sorbonne, 1975.
  • P. Galand-Pernet : Littératures berbères. Des voix, des lettres, Paris, PUF, 1998.
  • A. Roux / M. Peyron : Poésies berbères de l’époque héroïque. Maroc Central (1908-1932), Aix-en-Provence, Edisud, 2002.
  • A. Roux : « Les ‘imdyazen’ ou aèdes berbère du groupe linguistique beraber », Hesperis, 1928/II.

TIƔUNIWIN ou QQENX-AC (Énigmes)

 

La dénomination qqenx-ac (« je noue pour toi ») a été notée par E. Laoust en 1939 pour désigner un genre de composition en vers très codé qui relèvent plus des jeux de langage que de la poésie rituelle. Le nom du genre est tiɣuniwin (sing. taɣuni, « action de nouer, de fermer »). Le pluriel est le nom du genre et le singulier, une énigme en particulier.

Les énigmes sont à distinguer des devinettes pour trois raisons:

  • Devinettes (zenzex-ac-t-inn, c’est-à-dire « je te la donne à deviner ») et énigmes sont des jeux de langage. Néanmoins, les premières sont centrées sur l’encodage et le décodage du message alors que les secondes, sans négliger ces deux processus, sont centrées sur la qualité esthétique de cet encodage-décodage.
  • Le public et les producteurs des devinettes sont des enfants alors que ceux des énigmes sont des adultes. De plus les producteurs d’énigmes sont des poètes virtuoses appelés dans les textes eux-mêmes bu-llɣa (maître du chant).
  • La troisième différence est la forme verbale de ces genres : les devinettes sont en prose alors que les énigmes sont exclusivement en vers. Certes, certaines devinettes sont versifiées, mais elles sont peu nombreuses alors que les énigmes le sont de manière systématique. Pas d’énigme non versifiée.

 

A. Bounfour

 

Illustrations :

 

 

Orientation bibliographique

  • F. Bentolila (Dir.) : Devinettes berbères, 1, 2, 3, Paris, CILF, 1986.
  • A. Bounfour : Introduction à la littérature berbère. I. La poésie, Paris/Louvain, Peeters, 1999.
  • Encyclopédie berbère, XV, 1995 (« Devinettes », par D. Azdoud et M. Peyron).
  • P. Galand-Pernet : Littératures berbères. Des voix, des lettres, Paris, PUF, 1998.
  • E. Laoust : Cours de berbère marocain (dialectes du Maroc central), 1939.