Genres poétiques : Kabyle

Asefru

 

Asefru (plur. Isefra) est un terme générique qui désigne en kabyle une pièce poétique quelle que soit sa longueur. Le terme désigne aussi une forme fixe précise, composée généralement de trois tercets, selon le modèle métrique suivant:

1er tercet : 7 syllabes, rime A
  5 syllabes, rime A
  7 syllabes, rime B
2ème tercet : 7 syllabes, rime A
  5 syllabes, rime A
  7 syllabes, rime B
3ème tercet : 7 syllabes, rime A
  5 syllabes, rime A
  7 syllabes, rime B

 

La règle de la longueur n’est pas impérative puisqu’on retrouve des poèmes qui ne dépassent pas six vers (poèmes de Yusef-u-Qasi) et d’autres qui forment une longue succession de vers (poèmes anonymes). Par ailleurs Chaker (1982) a souligné l’unité sémantique et syntactico-prosodique de chaque tercet qui fait de chacun d’eux une phrase homogène.

L’asefru traite habituellement de thématiques majeures, sérieuses, voire convenues : guerre, résistance d’une tribu à la conquête, exil et douleur de la séparation... Il peut également traiter d’expérience mystique.

Le mot asefru est un dérivé nominal du verbe ssefru, « dire/composer un poème », mais aussi « dénouer, défaire, délier, éclaircir… » du verbe fru : « séparer, démêler… ». La poésie est donc un « éclaircissement », une « mise au clair, à la lumière » de ce qui est emmêlé et enchevêtré…

A. Ameziane & S. Chaker


Orientation bibliographique

  • D. Abrous :« Kabylie : littérature », Encyclopédie berbère, XXVI, Aix-en-Provence, Edisud, 2004.
  • A. Bounfour : Introduction à la littérature berbère. I. La poésie, Paris/Louvain, Peeters, 1999.
  • S. Chaker : « Structures formelles de la poésie kabyle », Actes de la Table Ronde Littérature Orale (Crape, 16-18 juin 1979), Alger, OPU/Crape, 1982.
  • P. Galand-Pernet : Littératures berbères. Des voix, des lettres, Paris, PUF, 1998.
  • Mammeri M. : Les isefra, poèmes de Si Mohand, Paris, Maspéro/La Découverte, 1969.
  • Mammeri M. : Poèmes kabyles anciens, Paris, La Découverte, 1980.

Chants et pratiques de la petite enfance

 

a. Azuzzen ou berceuse

Le terme azuzzen, de zuzzen (bercer) désigne à la fois le fait de bercer l’enfant et la poésie chantée qui accompagne cette pratique. Il s’agit d’un chant que la mère exécute en solo pour implorer Dieu de protéger son enfant des maux qui le menacent. Les poèmes sont généralement composés de courtes strophes ponctuées chacune par l’expression exhortative Allahun ! ou Ullâh ! (Au nom de Dieu !).

 

b. Attehhu ou sauteuse (aserqes)

Le terme désigne à la fois la pratique par laquelle la mère, ou sa suppléante – généralement la grand-mère – fait sauter dans ses bras (aserqes) l’enfant après son réveil, en prononçant l’exclamation : ttuha !, ainsi que le chant qu’elle produit. L’un et l’autre exhortent l’enfant à grandir en bonne santé physique et mentale. Les poèmes chantés sont, comme dans l’azuzzen, une succession de courtes strophes.

A. Ameriane

 

Illustration

Azuzzen (berceuse) Attehu (sauteuse)

 

Orientation bibliographique

  • A. Bounfour : Introduction à la littérature berbère. I. La poésie, Paris/Louvain, Peeters, 1999.
  • P. Galand-Pernet : Littératures berbères. Des voix, des lettres, Paris, PUF, 1998.
  • Encyclopédie berbère, XII, 1993, « Chants », par M. Peyron, F. Aït Ferroukh, N. Mécheri-Saada), Aix-en-Provence, Edisud, 1993.
  • Encyclopédie berbère, fasc. XXVI, (« Kabylie : littérature », par. D. Abrous) , Aix-en-Provence, Edisud, 2004.

Izli

 

L’izli appartient au répertoire de la poésie féminine. Il s’agit d’un poème à thématique amoureuse, très souvent chanté dans des circonstances particulières et hors de la présence des hommes. Les femmes y trouvent l’espace idéal pour dire leur solitude, leurs déboires affectifs et, de manière générale les affres de leurs vies personnelles. Parfois, ce type de poésie traite même d’érotisme. Ceci qui le maintient dans une certaine discrétion et marginalité. C’est sans doute, la raison pour laquelle, les poèmes issus de ce genre poétique restent anonymes.

Sur le plan formel, l’izli a une forme instable, sa structure est parfois très décousue. Le poème peut aller de deux vers – distique qui, dans beaucoup de cas, se proverbialise –, jusqu’à six vers. Il dépasse rarement le sizain. Il arrive que l’izli épouse la forme de joutes oratoires qui opposent généralement une femme à un berger. Ce dernier est réputé pour être un connaisseur des secrets féminins. Les joutes ont lieu à la fontaine.

Les distiques qui composent l’izli sont généralement autonomes, ce qui explique qu’on les retrouve d’un poème à l’autre. Très souvent, ces distiques se figent et acquièrent le statut de dicton. Aussi, la forme flexible des izlan – qui contraste avec la rigidité de l’asefru–fait que les femmes les chantent dans divers contextes : dans l’urar [1], lors des séances de tissage [2], etc.

 

[1] Il s’agit de rencontres festives du soir ou de la nuit (mixtes dans certains tribus, uniquement de femmes ailleurs), accompagnées de chants et danses, lors des mariages ou en toute autre occasion. C’est aussi l’occasion pour les femmes de dire des Izlan entre elles.
[2] Cf. Fichier de Documentation Berbère (FDB), n° 93, 1967, p. 64-67.

A. Ameziane

Illustrations :

 

 

Orientation bibliographique

  • D. Abrous :« Kabylie : littérature », Encyclopédie berbère, XXVI, Aix-en-Provence, Edisud, 2004, p. 4071-4074.
  • A. Bounfour : Introduction à la littérature berbère. I. La poésie, Paris/Louvain, Peeters, 1999.
  • Encyclopédie berbère, XXV, 2003 (« Izli », par M. Peyron, S. Chaker, T. Oudjedi).
  • P. Galand-Pernet : Littératures berbères. Des voix, des lettres, Paris, PUF, 1998.
  • Mammeri M. : Les isefra, poèmes de Si Mohand, Paris, Maspéro/La Découverte, 1969.
  • Mammeri M. : Poèmes kabyles anciens, Paris, La Découverte, 1980.

Poésie rituelle

 

Certains poèmes sont inséparables des circonstances de leur énonciation. Ils sont pour la majorité produits par des femmes et chantés, à l’exception de l’azenzi n l?enni qui est réservé aux hommes. Ces poèmes rituels accompagnent les activités essentielles de la vie : le travail, les mariages, etc. Il existe pour chacune de ces poésies chantées une terminologie autochtone. Cette terminologie définit à la fois la poésie et le rituel qui accompagne son énonciation.

 

Ccna n twizi ou chants de travail

Cette dénomination désigne les chants qu’on entonne lors des travaux collectifs dans les champs. Il existait dans la société traditionnelle kabyle – cette activité est résiduelle de nos jours – une activité d’entraide appelée tiwizi à l’occasion de laquelle les villageois se relayaient à tour de rôle dans les champs pour les travaux exigeant beaucoup de main d’œuvre, notamment la cueillette des olives. Dans ces circonstances, les travailleurs chantaient en chœur des chants destinés à soutenir l’effort. Ces chants ont la forme de dialogues entre le propriétaire du champ et ses auxiliaires. Les poèmes forment une longue succession de strophes où la voix du propriétaire du champ et celle de ses aides se répondent.

 

Asiwel n lḥenni ou déclamation du henné

Le terme a un double sens : il désigne d’abord la cérémonie d’imposition du henné au jeune marié lors du mariage. Il renvoie également aux poèmes dits en son honneur par un poète du village. L’officiant est généralement un homme reconnu pour sa maîtrise ce genre poétique très ritualisé ; les bons spécialistes deviennent de plus en plus rares.

 

Tibuɣarin ou chants de louanges

Tibu?arin sont des poèmes chantés exclusivement par des femmes. Lors des mariages, les femmes du village réputées pour leur don poétique se rassemblent et font, en solo ou en chœur, l’éloge du nouveau marié ou de la nouvelle mariée. Les chants, succession de petites strophes poétiques, sont ponctués par les youyous des femmes présentes.

 

Adekker ou chant mystique

Adekke? désigne à la fois le rituel et les chants religieux et mystiques qu’on répète en chœur, rythmés par la répétition du nom de Dieu, notamment lors de veillées funèbres. Les chants sont une évocation de Dieu, du jugement dernier, etc. Les textes poétiques chantés dans l’adekke? sont de haute facture : il s’agit dans beaucoup de cas de tiqsi?in, de longs poèmes relatant la vie de saints personnages.

A. Ameziane

 

Illustrations :

  1. Azenzi n lḥenni (chant du henné)
  2. Tibuɣarin (chant de louange)
  3. Ccna n tiwizi (chant de travail)
  4. Adekker (chant mystique)

 

Orientation bibliographique

  • D. Abrous :« Kabylie : littérature », Encyclopédie berbère, XXVI, Aix-en-Provence, Edisud, 2004, p. 4071-4074.
  • A. Bounfour : Introduction à la littérature berbère. I. La poésie, Paris/Louvain, Peeters, 1999.
  • P. Galand-Pernet : Littératures berbères. Des voix, des lettres, Paris, PUF, 1998.
  • Encyclopédie berbère, XII, 1993, « Chants » (par M. Peyron, F. Aït Ferroukh, N. Mécheri-Saada).
  • FDB/Le Fichier Périodique, 128, 1975 (IV), « Chant rituel d’imposition du henné ».