PARENTE ET ORIGINE DE LA LANGUE BERBERE

Malgré les hésitations et les hypothèses diverses émises depuis plus d’un siècle et demi, l’apparentement* de la langue berbère ne fait aucun doute : le berbère est l'une des branches de la grande famille linguistique chamito-sémitique (ou "afro-asiatique", selon la terminologie américaine initiée par J. Greenberg), qui comprend, outre le berbère, le sémiti-que, le couchitique, l'égyptien (ancien) et, avec un degré de parenté plus éloigné, le groupe "tchadique" dont le représentant le plus connu est le haoussa.

Cette notion de parenté linguistique, souvent très idéologisée, est, faut-il le rappeler, précisément définie et relative : elle est de nature strictement linguistique et n’implique rien en termes d’anthropologie (origine des peuplements) et/ou de culture. Elle est tou-jours relative dans le temps et bute sur les limites chronologiques des méthodes du compa-ratisme linguistique : les apparentements que l’on peut sérieusement établir ne remontent jamais au-delà des Néolithiques anciens : or, il y a un «avant» et l’histoire de l’humanité, des peuples et des langues, ne commence pas avec la pierre polie et l’agriculture!

En particulier, il est bon d’insister sur le fait que la parenté chamito-sémitique du berbère n’implique en rien une « venue du Moyen-Orient (sémitique) ou de l’Afrique de l’Est »… Au contraire, tout indique, les données préhistoriques comme les données lin-guistiques, une très grande ancienneté du berbère en Afrique du Nord (Cf. Chaker 2006b). En considération de l’unité profonde du berbère sur une aire considérable, on pourrait même très légitimement émettre l’hypothèse que le berceau initial des langues chamito-sémitiques, contrairement à toutes les thèses classiques, pourrait bien être l’Afrique du Nord, seul môle de stabilité et de continuité dans l’ensemble chamito-sémitique, à partir duquel se serait diversifiées les branches et langues de la famille, par migration vers le Sud-est (domaine couchitique et tchadique), vers l’Est (domaine égyptien et sémitique). En tout cas, l’hypothèse n’est pas moins légitime que toutes les autres émises antérieu-rement et paraît même confortée par le matériau linguistique, notamment grammatical, car le système berbère apparaît souvent à la fois comme prototypique et particulièrement transparent dans l’ensemble chamito-sémtique…

En tout état de cause, le berbère peut être considéré comme la langue "autochtone" de l’Afrique du Nord et il n’existe actuellement pas de trace positive d’une origine exté-rieure ou de la présence d’un substrat pré-/non-berbère dans cette région. Aussi loin que l’on puisse remonter – c’est-à-dire dès les premiers témoignages égyptiens (Cf. Bates 1914 (1970)) –, le berbère est déjà installé dans son territoire actuel. La toponymie no-tamment n’a pas permis jusqu’ici d’identifier précisément un quelconque sédiment pré-berbère.

S. CHAKER