LA SYNTAXE DE LA LANGUE BERBERE

Structures élémentaires de l’énoncé

 

En berbère, langue à opposition verbo-nominale, c’est, très classiquement, le verbe qui constitue généralement le noyau prédicatif de la phrase. Le verbe, qui est un uni-fonctionnel prédicatif, peut cependant, dans certains contextes (notamment en proposition relative), perdre cette fonction pour devenir un simple déterminant lexical fonctionnellement équivalent à un adjectif.

La majorité des énoncés sont donc construits autour d’un prédicat verbal constitué par la forme verbal obligatoirement associée à un indice de personne, selon l’ordre cano-nique suivant :

Verbe + (1er déterminant Nom) + (2e déterminant Nom) + (3e déterminant Nom)
Prédicat + Complément explicatif + Complément direct + Complément indirect

y-fka umɣar idrimen i umddak°el-is
il-a donné vieux argent à compagnon-son
= le vieux à donné (de l’)argent à son compagon

Dans cette séquence, umɣar ("vieux/vieillard" avec la marque de l’état d’annexion) est considéré non comme un "sujet" mais comme une expansion ("Complé-ment explicatif") au même titre que les autres syntagmes nominaux de l’énoncé : comme eux, il est toujours supprimable ; de plus, il ne peut se substituer à l’indice de personne du verbe (y–,"il") qui n’est donc pas, syntaxiquement, un pronom.

Cet ordre "neutre", qui est surtout celui du récit, est souvent concurrencé dans le discours par une séquence à extraposition et thématisation :

amɣar y-fka idrimen i umddak°el-is
vieux il-a donné argent à compagnon-son
= le vieux, il a donné (de l’)argent à son compagnon

Sachant que tous les constituant de l ’énoncé peuvent occuper cette position d’extraposition, marquée par une rupture tonale, les berbérisant analysent généralement cette construction, non comme une simple phénomène stylistique ou pragmatique, mais comme une fonction syntaxique particulière, intégrée à la grammaire de la langue et dé-nommée "Indicateur de thème" (Galand 1964). Mais le nom – précisément les substantifs, les adjectifs et tous les pronominaux libres – peut également occuper la fonction de prédicat. Il existe en berbère, dans tous les dialectes, de nombreux type de phrases nominales :– Soit, comme en touareg, par simple juxtaposition de nominaux (phrase nominale "pure") :

Mûsa, amɣar n Ahaggar
Mûsa, chef de Ahaggar = Moussa est le chef de l’Ahaggar

  • Soit, comme dans la plupart des dialectes berbères nord, grâce à un auxiliaire de prédi-cation spécialisé (d = "il y a/c’est") :

d amur-iw
d part-ma = c’est ma part

  • Soit dans le cadre de constructions à affixes personnels (à noyau prépositionnel, adver-bial ou interrogatif):

ɣur-s sin yezgaren / anda-t umur-iw (kabyle)
chez-lui deux bœufs = il a deux bœufs / où -la part-ma = où est ma part ?

  • Enfin, dans de nombreux dialectes, la fonction prédicative peut aussi être assumée par divers éléments invariables, de type adverbial :

ulaš aman (kabyle) absence eaux = il n’y pas d’eau

 

S.CHAKER